Quand les loyers cessent d’être payés et que le locataire paraît insolvable, l’objectif n°1 n’est pas de “gagner le plus au tribunal” mais de stopper la dette rapidement tout en sécurisant juridiquement chaque étape. La bonne méthode tient en trois réflexes : vérifier immédiatement vos filets de sécurité (caution, GLI, Visale), enclencher une chronologie formelle sans sauter d’étape (relance → mise en demeure → commandement de payer → juge), et décider assez tôt si l’enjeu principal est de récupérer des sommes ou de mettre fin au bail pour éviter que la dette n’enfle.
Dès le premier impayé, constituez un dossier propre (bail, quittances, décompte clair, échanges), gardez des preuves datées et adoptez un ton factuel : c’est ce qui fait la différence devant l’assureur, le garant, la CAF/Visale… et, si nécessaire, devant le juge.
« Insolvable », ça veut dire quoi en pratique ?
On parle d’insolvabilité lorsque, même avec un titre exécutoire, les voies d’exécution (saisie sur salaire, saisie bancaire, vente de biens) ont peu de chances d’aboutir parce que la personne n’a ni revenus saisissables suffisants, ni épargne, ni patrimoine mobilisable. Ce n’est pas la même chose qu’un retard ponctuel.
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Concrètement, plusieurs indices se recoupent : revenus faibles ou irréguliers (allocations seules, missions très courtes), absence d’employeur stable (ce qui complique la saisie sur rémunérations), comptes récurrents à découvert, biens mobiliers de faible valeur, et parfois une procédure de surendettement ouverte. À l’inverse, un salarié en CDI avec un reste à vivre correct, un garant solide ou un dossier Visale actif n’est pas “insolvable” au sens opérationnel, même s’il traverse une difficulté.
Pourquoi cette distinction est essentielle ? Parce qu’elle oriente votre stratégie.
- Si les chances de recouvrement existent (revenus saisissables, garant solvable, GLI/Visale mobilisables), vous cherchez à rétablir le paiement ou à faire indemniser rapidement les arriérés.
- Si l’insolvabilité est avérée, la priorité devient de faire cesser la création de dette : activer la clause résolutoire, aller au jugement pour obtenir la résiliation du bail et l’indemnité d’occupation, puis exécuter la décision. Vous conservez le titre pour un éventuel recouvrement ultérieur si la situation du débiteur s’améliore.
Dans tous les cas, évitez les réflexes risqués (menaces, coupures d’énergie, arrangements oraux). Ce qui protège un bailleur, c’est une procédure régulière, des écrits clairs et des délais respectés.
Vérifications immédiates (J0) : bail, clause résolutoire, garanties, montant exact de la dette
Avant d’envoyer le moindre courrier, prenez une heure pour « cadrer le dossier ». Ouvrez le bail et relisez-le d’un bloc : le type de contrat (nu, meublé, mobilité), l’existence d’une clause résolutoire pour impayés, le montant du loyer et des charges, la date d’échéance, l’indexation (IRL) et les coordonnées officielles du locataire et, le cas échéant, du garant. Si la clause résolutoire est présente, vous savez déjà que le commandement de payer déclenchera un délai légal de deux mois au terme duquel le juge pourra constater la résiliation si la dette persiste.
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Ensuite, listez vos filets de sécurité. Y a-t-il une caution (simple ou solidaire) ? Une GLI (garantie loyers impayés) souscrite au départ, avec ses conditions et délais de déclaration ? Le locataire est-il couvert par Visale (Action Logement) ? Notez précisément ce qui est activable, et ce qui ne l’est pas (ex. : GLI et caution non cumulables hors cas particuliers).
Calculez la dette exacte au jour près : loyers échus, provisions sur charges, pénalités contractuelles s’il y en a, avoirs déjà versés, et différenciez bien loyers et charges. Produisez un décompte clair, daté, que vous réutiliserez tel quel dans vos relances, pour l’assureur, pour le garant et, si nécessaire, pour le juge. Vérifiez aussi si des APL/allocations logement sont versées : en présence d’un impayé, le bailleur doit prévenir la CAF/MSA et proposer un plan d’apurement ; à défaut, l’aide peut être suspendue, ce qui aggrave la situation.
Enfin, rassemblez les pièces : bail signé (et acte de cautionnement le cas échéant), quittances ou relevé de loyers, dernier état des lieux d’entrée, échanges antérieurs (mails, SMS), justificatifs d’allocations, RIB bailleur. Vérifiez l’adresse de notification du locataire (et du garant) pour vos courriers recommandés. Ce travail de J0 vous évite les faux pas procéduraux, accélère l’indemnisation par la GLI/Visale et vous met en ordre de bataille si vous devez judiciariser.
Plan d’action chronologique : du premier impayé à l’assignation
J+1 à J+5 — Relance amiable et cadrage.
Dès que l’échéance est dépassée, contactez le locataire (téléphone + mail) en restant factuel : montant exact dû, date d’exigibilité, RIB, proposition d’échanger sous 48 h. Joignez un décompte clair. L’objectif est double : vérifier s’il s’agit d’un accident ponctuel et créer une première preuve datée.
J+8 — Mise en demeure (LRAR).
Adressez une lettre recommandée avec AR rappelant : 1) le montant et les périodes impayées, 2) le délai ferme laissé (8 à 10 jours), 3) la clause résolutoire si elle figure au bail, 4) l’intention de mandater un commissaire de justice à défaut de règlement. Mentionnez que tout plan d’apurement doit être écrit et signé, avec échéances précises, et qu’un seul incident remet fin à l’accord.
J+15 à J+30 — Activer les leviers tiers et sécuriser les aides.
Si des aides au logement (CAF/MSA) sont versées, informez l’organisme et proposez un plan d’apurement (condition souvent nécessaire pour éviter une suspension d’aide). Vérifiez vos garanties : Visale (déclarez l’incident selon la procédure), GLI (déclarez dans les délais du contrat), caution (prévenez-la déjà de l’impayé, sans vous substituer encore à la phase formelle suivante si caution simple).
J+45 à J+60 — Commandement de payer (commissaire de justice).
Faites délivrer un commandement de payer au locataire (et à la caution le cas échéant). Si une clause résolutoire est au bail, ce commandement fait courir le délai légal de 2 mois : si, à l’issue, la dette n’est pas réglée, le juge pourra constater la résiliation. Pendant ces 2 mois, continuez de documenter la dette (quittances, relances, éventuels versements partiels) et laissez une porte de sortie via un échéancier écrit crédible si le profil n’est pas structurellement insolvable.
Après le délai du commandement — Saisine du juge.
À défaut de régularisation complète : assignez devant le juge des contentieux de la protection pour obtenir :
- la résiliation du bail (ou sa constatation si clause résolutoire),
- l’expulsion (avec, le cas échéant, application de la trêve hivernale qui retarde la sortie mais n’efface pas la dette),
- la condamnation au paiement des arriérés,
- et, à compter de la résiliation, une indemnité d’occupation jusqu’au départ effectif.
Joignez un dossier propre et chronologique : bail, pièces d’entrée (EDL, dépôt), quittances, décompte, relances, mise en demeure, commandement, éventuels échanges sur plan d’apurement, preuves des démarches CAF/Visale/GLI, notifications à la caution.
Si le bail ne contient pas de clause résolutoire.
Saisissez directement pour résiliation judiciaire pour manquement grave (impayés répétés), avec les mêmes demandes accessoires (condamnation, expulsion, indemnité d’occupation).
Injonction de payer ou assignation ?
L’injonction de payer peut accélérer la reconnaissance de la dette purement pécuniaire, mais ne permet pas d’obtenir l’expulsion. Dès qu’il faut mettre fin au bail, privilégiez l’assignation au fond (ou en référé si les conditions sont réunies).
En clair : les bonnes pratiques
- N’acceptez aucun accord oral : tout plan d’apurement est écrit, daté, signé, avec clause de déchéance du terme en cas de retard.
- Évitez les listes infinies de relances : une relance courte, une mise en demeure, puis le formalisme (commandement).
- N’entrez pas dans l’illégal (coupure d’eau/élec, changement de serrure) : cela se retourne contre le bailleur.
- En cas de garant solidaire, mettez-le en cause tôt avec copies des pièces ; en GLI, respectez au jour près les délais contractuels de déclaration.
Faire jouer la caution : simple vs solidaire (mode d’emploi)
Avant d’activer la caution, ressortez l’acte de cautionnement (annexe du bail) : vérifiez l’identité du garant, la nature de l’engagement (simple ou solidaire), le plafond et la durée. Conservez une copie pour chaque envoi.
Caution simple : d’abord le locataire, ensuite le garant
Avec une caution simple, vous devez poursuivre le locataire en premier. Concrètement : relance → mise en demeure → commandement de payer par commissaire de justice. Si la dette n’est pas réglée, vous mettez en cause la caution en lui transmettant un dossier complet (bail, acte de caution, décompte, copie du commandement). Donnez un délai court (8–10 jours) et précisez que, faute de paiement, vous demanderez sa condamnation solidaire au juge.
Caution solidaire : action immédiate possible
Avec une caution solidaire, vous pouvez demander le paiement dès le premier impayé, sans attendre l’issue des démarches contre le locataire. Envoyez une mise en demeure LRAR au garant avec décompte précis et pièces justificatives. En pratique, continuez en parallèle la procédure locataire (commandement de payer/clause résolutoire) pour faire cesser la dette.
Bonnes pratiques (qui font la différence)
- Informer tôt la caution (courtoise puis LRAR) et joindre les preuves : bail, acte de caution, décompte, relances/commandement.
- Exiger un paiement intégral (loyers + charges + intérêts/indemnités prévus au bail). Accepter un échéancier uniquement écrit et signé avec clause de déchéance du terme.
- Si la caution conteste (plafond, durée, évolution du bail…), ne suspendez pas la procédure principale : demandez sa condamnation devant le juge en même temps que celle du locataire.
- En cas de garant lui-même insolvable : objectif = résiliation/expulsion + titre exécutoire pour un recouvrement ultérieur si sa situation s’améliore.
Activer la GLI (garantie loyers impayés) : délais, pièces, pièges à éviter
La GLI n’est pas une baguette magique : elle indemnise si, et seulement si, vous respectez à la lettre les conditions du contrat (sélection du locataire, délais de déclaration, enchaînement procédural). Bien utilisée, c’est votre meilleur amortisseur quand l’occupant devient insolvable.
Quand et comment déclarer le sinistre
Dès le premier impayé, ouvrez le dossier auprès de l’assureur (espace client ou courriel dédié) : la plupart exigent une déclaration très tôt dans le cycle d’impayé, souvent au cours du mois d’échéance. N’attendez pas la fin des relances : déclarez, puis tenez l’assureur informé de chaque étape (mise en demeure, commandement, audience).
Après ouverture, l’assureur vous demandera un complément de pièces et vous indiquera le calendrier d’indemnisation (franchise éventuelle, périodicité des versements, plafonds).
Dossier type à constituer
Préparez un paquet unique et propre (PDF) que vous pourrez réutiliser :
- Bail signé + annexes (état des lieux d’entrée, notice d’information, DDT).
- Dossier de solvabilité locataire tel qu’exigé à la souscription (pièces d’identité, contrat de travail/attestation employeur, bulletins de salaire, avis d’imposition, quittances du précédent logement, etc.).
- Preuves d’impayé : décompte détaillé, quittances antérieures, relance(s), mise en demeure LRAR, commandement de payer (si délivré), échanges avec le locataire/garant.
- Justificatifs tiers : notification CAF/MSA et proposition de plan d’apurement si aides logement, preuve d’information du garant s’il existe.
- Coordonnées de paiement (RIB), et, le cas échéant, mandat donné au commissaire de justice.
Ce que la GLI prend (généralement) en charge
- Loyers et charges impayés, après application d’une franchise éventuelle (ou d’un délai de carence), puis versements mensuels tant que les conditions sont remplies et dans la limite des plafonds contractuels.
- Frais de contentieux (commandement, assignation, exécution) lorsqu’ils sont conformes à la procédure recommandée par l’assureur et préalablement validés si le contrat l’exige.
- Parfois, une garantie « dégradations locatives » (sur justificatifs) et les honoraires de gestion selon options.
Les 7 causes classiques de refus (et comment les éviter)
- Dossier locataire non conforme à l’origine (revenus insuffisants, pièces manquantes, taux d’effort hors critère). → Vérifier l’éligibilité avant la remise des clés ; archiver toutes les pièces.
- Déclaration tardive de sinistre. → Déclarer dès le premier impayé puis compléter au fil de l’eau.
- Mauvaise procédure : pas de mise en demeure, commandement délivré trop tôt/trop tard, actes non conformes. → Suivre la chronologie écrite, dates à l’appui.
- Accord d’échelonnement oral ou non validé par l’assureur. → Tout apurement doit être écrit, daté, signé et, si le contrat l’exige, soumis à l’assureur.
- Cumul interdit GLI + caution (hors cas particuliers prévus par le contrat, p. ex. étudiant/apprenti). → Choisir l’un ou l’autre dès la sélection.
- Changement substantiel non signalé (modification du bail, ajout de colocataire, sous-location). → Informer l’assureur de toute évolution.
- Absence de clause résolutoire ou bail « bancal ». → Utiliser un modèle conforme et complet.
Astuces opérationnelles
- Tenez un journal de recouvrement (dates, actions, pièces envoyées) : en cas d’audit, vous prouvez la diligence.
- Centralisez tout en un dossier partagé (bail, pièces, actes) : vous gagnez des semaines lors des demandes de compléments.
- Avant toute audience, prévenez l’assureur et validez la stratégie (résiliation/expulsion, demandes accessoires, indemnité d’occupation).
Procédure résolution/expulsion : sécuriser la fin du bail
1) Commandement de payer : le point de départ des 2 mois
Dès que les relances et la mise en demeure sont restées infructueuses, faites délivrer un commandement de payer par commissaire de justice.
- Effet juridique : si le bail contient une clause résolutoire « impayés », ce commandement fait courir un délai légal de 2 mois.
- Pendant ces 2 mois : le locataire peut régler (intégralement) ou proposer un plan d’apurement écrit. En cas de paiement complet, la clause résolutoire ne produit pas effet.
2) Saisine du juge : constater la résiliation et organiser la sortie
À l’issue des 2 mois, si la dette n’est pas soldée, saisissez le Juge des contentieux de la protection pour :
- constatation de la résiliation (si clause résolutoire) ou résiliation judiciaire (s’il n’y en a pas),
- expulsion (avec fixation d’un délai pour quitter les lieux),
- condamnation aux arriérés et, après résiliation, à l’indemnité d’occupation jusqu’à restitution effective des clés.
Le juge peut accorder des délais de grâce (jusqu’à 36 mois maximum selon la situation) et suspendre temporairement les effets de la clause résolutoire si un échéancier sérieux est respecté. Précisez, chiffres à l’appui, pourquoi un délai aggraverait vos pertes (capacité de paiement insuffisante, échéances de crédit, charges de copropriété…).
3) Trêve hivernale, commandement de quitter, force publique
- Trêve hivernale (1er nov. → 31 mars) : elle retarde l’expulsion mais n’efface pas la dette ni l’indemnité d’occupation.
- Une fois la décision rendue et signifiée, le commissaire de justice délivre un commandement de quitter les lieux ; passé le délai, il peut requérir le concours de la force publique. En cas de retard fautif de l’État, une indemnisation du bailleur est possible.
4) Calendrier moyen (pour cadrer les attentes)
- Semaine 0 : commandement de payer.
- Semaine 9–12 : audience (délais variables selon tribunal).
- Semaine 12–16 : jugement + signification.
- Mois 4–6 : commandement de quitter + délai accordé ; le cas échéant, attente trêve.
- Mois 6+ : concours de la force publique si nécessaire.
Les délais fluctuent selon l’encombrement des juridictions, la période (trêve), et les recours éventuels. L’important est de tenir la ligne procédurale et de documenter chaque étape.
Documents à joindre à l’assignation
- Bail (et acte de caution s’il existe) + EDL d’entrée.
- Décompte détaillé des arriérés (loyers/charges) + quittances antérieures.
- Relance, mise en demeure LRAR, commandement de payer.
- Échanges sur plans d’apurement (acceptés/refusés), preuve d’information CAF/Visale/GLI.
- Justificatifs des paiements partiels, intérêts/indemnités prévus au bail.
- Pièce d’identité du bailleur/mandataire, K-bis si personne morale, mandat éventuel au commissaire de justice/avocat.
Mesures d’exécution si la personne est (vraiment) insolvable
Lorsque le titre exécutoire est obtenu, trois leviers existent. Leur efficacité dépend de la réalité des ressources et des protections légales du débiteur.
1) Saisie sur rémunérations
Le commissaire de justice peut engager une saisie sur salaire auprès de l’employeur.
- Quotité saisissable : calculée par tranches selon un barème légal, en tenant compte des personnes à charge.
- Limites : faibles revenus, temps partiel, alternance d’employeurs → rendement limité. Utile si le débiteur a un emploi stable.
2) Saisie-attribution sur compte bancaire
La saisie bancaire permet de prélever directement les sommes disponibles le jour de la saisie.
- Le débiteur conserve un solde bancaire insaisissable (SBI) égal au montant du RSA en vigueur pour faire face aux dépenses essentielles.
- Limites : comptes souvent à découvert, virements ponctuels aussitôt dépensés ; saisies parfois peu fructueuses sans flux réguliers.
3) Saisie mobilière (saisie-vente)
Inventaire et saisie des biens meubles (hors biens insaisissables).
- Limites : revente à faible valeur, coûts d’intervention ; pertinente seulement si des biens de valeur identifiable sont présents (matériel high-tech récent, œuvres, etc.).
Si l’insolvabilité est totale (pas d’emploi stable, pas d’avoirs, prestations protégées), priorisez la résiliation/expulsion pour arrêter l’hémorragie et limiter la dette future. Optimisez vos protections (GLI, Visale, caution), obtenez un titre exécutoire et gardez-le : il permettra un recouvrement différé si la situation du débiteur s’améliore (nouvel emploi, héritage, régularisation). Entre-temps, documentez vos pertes (loyers, charges, indemnité d’occupation, frais) : c’est ce qui soutient vos demandes d’indemnisation et toute action ultérieure.
