
En France, près d’un tiers des terres agricoles appartiennent à des propriétaires non exploitants. Nombre d’entre eux envisagent de louer une parcelle à un particulier — un jardinier amateur, un voisin, ou un jeune agriculteur. Mais derrière un simple échange de bons procédés se cache souvent un régime juridique très strict, régi par le Code rural et de la pêche maritime.
Car dès lors que le terrain est utilisé pour une activité agricole, au sens juridique du terme, la loi impose le statut du fermage : bail rural de neuf ans minimum, loyer encadré, et droit au renouvellement pour le preneur.
Comprendre ce qui relève vraiment de “l’activité agricole”
Tout part de la définition donnée à l’article L.311-1 du Code rural : l’activité agricole regroupe la production végétale ou animale, la culture, l’élevage, la commercialisation de produits issus de l’exploitation, ou encore certaines activités de transformation.
Autrement dit, dès qu’il existe une production et une valorisation, même à petite échelle, la relation contractuelle bascule automatiquement dans le champ du bail rural.
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Ainsi, un particulier qui cultive une parcelle pour vendre ses légumes au marché local exerce bien une activité agricole. Il doit donc être titulaire d’un bail rural classique.
En revanche, un potager familial sans aucune vente de produits relève plutôt d’un usage d’agrément, à encadrer par un contrat dérogatoire ou un prêt à usage gratuit, à condition qu’aucune contrepartie financière ne soit versée.
Bon à savoir : le statut du fermage est d’ordre public. Il s’impose même si le contrat signé parle de “location loisir” ou de “mise à disposition de terrain” : en cas de litige, le juge requalifie l’accord en bail rural.
Cas n°1 — Louer pour une activité agricole : le bail rural (fermage)
Une durée minimale de neuf ans
Le bail rural est un contrat écrit, conclu pour neuf ans minimum. En l’absence d’écrit, le bail est présumé verbal mais vaut tout de même pour neuf ans.
Il se renouvelle automatiquement pour la même durée, sauf congé notifié au moins 18 mois avant l’échéance, par acte d’huissier.
Si la durée excède 12 ans, le bail doit être établi par acte notarié et publié au service de publicité foncière.
Ces règles sont contraignantes, mais elles sécurisent aussi le propriétaire : un cadre juridique clair, un locataire responsable, et des loyers encadrés.
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Un loyer strictement encadré
Le montant du fermage est réglementé par arrêté préfectoral, qui fixe chaque année un barème de prix à l’hectare selon la nature des terres (prairies, labours, vignes, vergers…).
Ce barème est ensuite actualisé par l’indice national des fermages, publié au Journal officiel.
En 2025, l’indice s’établit à 123,06, soit une légère hausse de +0,42 %.
Exemple : un fermage fixé à 180 € l’hectare en 2024 passera à environ 180,75 € cette année.
Le bail doit préciser la base de calcul (surface, qualité du sol, équipements, bâtiments éventuels).
Répartition des charges et réparations
L’impôt foncier reste à la charge du propriétaire, mais il est d’usage que le fermier rembourse environ 20 % de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB), plus certaines cotisations locales (frais de chambre d’agriculture, taxes syndicales).
Les grosses réparations — gros œuvre, toiture, murs porteurs — incombent au bailleur, tandis que le preneur assume les réparations locatives et l’entretien courant.
L’autorisation d’exploiter : un préalable souvent oublié
Avant toute mise en culture, le futur exploitant doit respecter les règles du contrôle des structures (article L.331-2 du Code rural).
Selon la superficie et la région, il peut être tenu de déclarer ou de demander une autorisation d’exploiter auprès de la DDT(M) (Direction départementale des territoires).
Signer un bail sans cette autorisation peut rendre le contrat irrégulier, voire contestable en justice.
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Droit de préemption en cas de vente
Le preneur en place dispose d’un droit de préemption s’il est agriculteur et exploite le bien depuis au moins trois ans.
Il peut donc acheter prioritairement le terrain si le propriétaire le met en vente, sous réserve de l’exercice du droit concurrent de la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural).
En pratique, le preneur prime sur la SAFER s’il exploite déjà la parcelle et présente un projet viable.
En cas de vente : si le locataire n’est pas encore agriculteur au sens légal, la SAFER peut exercer son droit avant lui. Mieux vaut vérifier ce statut avant toute promesse de vente.
Cas n°2 — Louer à un particulier non agriculteur : un régime dérogatoire
Le bail de petites parcelles
Certaines préfectures autorisent un régime spécial pour les petites surfaces (généralement quelques ares), non soumises au statut du fermage.
Ces baux de petites parcelles, d’une durée libre, permettent de prêter ou de louer un bout de terrain pour un usage familial ou de loisir.
Mais les seuils varient fortement d’un département à l’autre. Avant de signer, il faut consulter l’arrêté préfectoral local et s’assurer que la surface louée reste inférieure au seuil d’assujettissement.
Si le terrain dépasse ce seuil, ou si le locataire en tire une activité agricole, le bail est automatiquement requalifié en bail rural.
Le prêt à usage gratuit
Lorsqu’aucun loyer n’est demandé, la mise à disposition peut se faire sous forme de prêt à usage (commodat).
C’est un contrat simple et gratuit, encadré par les articles 1875 et suivants du Code civil.
Il doit toutefois être écrit, préciser l’identité des parties, la désignation du terrain, la durée, l’usage autorisé et les conditions de restitution.
Attention : toute contrepartie, même symbolique (argent, denrées, services), peut entraîner une requalification en bail rural.
Deux cas typiques de requalification : un particulier qui élève des poules et vend les œufs sur les marchés, ou un jardinier amateur qui revend régulièrement ses légumes. Dans les deux cas, l’administration considère qu’il s’agit d’une activité agricole.
Fixer le prix : les barèmes 2025
Le prix du fermage reste strictement borné par les arrêtés préfectoraux, consultables sur le site des préfectures.
Ces textes indiquent des fourchettes minimales et maximales par hectare et par type de sol.
En 2025, l’indice national des fermages à 123,06 s’applique à tous les loyers agricoles, quelle que soit la région.
Exemple :
- Terre labourable (barème : 170 à 220 €/ha) → 200 € l’année pour 1 hectare.
- Prairie naturelle (barème : 80 à 120 €/ha) → environ 100 € l’année.
Ces loyers modestes s’expliquent par la vocation non spéculative du bail rural, mais ils garantissent la stabilité des relations entre propriétaires et exploitants.
Les pièges les plus fréquents
Le premier écueil reste le bail verbal. Beaucoup de propriétaires laissent un voisin “entretenir” leur terrain sans contrat écrit. Or, cette simple mise à disposition équivaut juridiquement à un bail rural de neuf ans, avec toutes ses conséquences.
Autre erreur fréquente : le contrat mal qualifié. Un “bail de jardin” ou une “autorisation d’usage” ne suffit pas si le terrain est exploité. Le juge requalifie, et le bailleur se retrouve engagé malgré lui.
Enfin, l’oubli du contrôle des structures expose à une annulation pure et simple du bail. Avant toute signature, il faut contacter la DDT(M) pour savoir si le locataire est autorisé à exploiter.
En résumé
Louer un terrain agricole ne s’improvise pas. Dès que le locataire cultive ou élève, le bail rural s’impose : neuf ans minimum, loyer encadré, obligations précises.
Pour les petites parcelles de loisir ou les prêts gratuits, des régimes allégés existent, mais ils doivent être formalisés par écrit pour éviter toute requalification.
Sources :
- Code rural et de la pêche maritime – articles L.311-1, L.411-1 et suivants, L.331-2
- Service-public.fr – Bail rural et fermage
- Ministère de l’Agriculture – Indice national des fermages 2025 (JO du 21 juillet 2025)